Acte II
Le tigre au Népal
Cette route épuisante vers le Népal, plutôt qu’un avion direct Katmandou, avait pour objectif d’entrer au Népal par l’ouest, où subsistent de vastes espaces naturels vierges. La jungle à livre ouvert comme dans les ouvrages de Rudyard Kipling, habitat d’une population florissante – et croissante – de Tigre du Bengale. Les efforts de conservation du pays pour le félin roi d’Asie ont payé. En 2019, le WWF a communiqué sur l’accroissement de la population de tigres sur le territoire.
Trois parcs accueillent le félin : les plaines herbacées du Shuklaphanta, le tout récent parc national de Banke, encore marginalement ouvert au tourisme, et le parc national de Bardia. L’éloignement à la capitale de ce dernier lui confère une fréquentation bien plus faible que son cousin, le parc national de Chitwan, que nous avions brièvement visité en 2018 sans les enfants.
Le parc national de Bardia offre deux expériences uniques : celle d’effectuer des safaris à pied, avec des guides expérimentés, à la recherche du tigre et des autres animaux, mais aussi celle de naviguer sur la rivière à la recherche des rares Dauphins du Gange, une espèce d’eau douce extrêmement rare et menacée.
Le Tigre du Bengale Panthera tigris est également menacé. Plus que 3900 individus subsistent en liberté dans le sous-continent indien (WWF, 2016). Trois sous-espèces de Tigres ont déjà disparu dans les années 1950 : le tigre de Java, de Bali et de la Caspienne. Trois autres sont en sursis. A la fin du 19ème siècle, quelque 100 000 tigres parcouraient les forêts d’Asie.
D’autres infos et enjeux sur : https://www.wwf.fr/especes-prioritaires/tigre
A l’occasion de la journée nationale de la Protection de la nature en 2018, le Népal a annoncé qu’il compte désormais une population de tigres estimée à 235 individus, soit près du double des 121 individus recensés en 2009. Nous souhaitons participer à cet effort en valorisant le travail des parcs nationaux népalais… et en se donnant la chance d’observer le félin et de donner l’envie à d’autres de tenter leur chance et de soutenir l’écotourisme responsable dans les 3 parcs népalais des jungles du Teraï.
Pas moins de 87 tigres fréquentent le parc national de Bardia, sur 987 km2. Le territoire d’un mâle est de l’ordre de 45 km2. Le mâle parcourt son territoire la journée, évinçant les concurrents et veillant sur ses femelles… Cette concentration impressionnante nous donne bon espoir d’en apercevoir, mais la rencontre reste très aléatoire.
Voir un tigre sauvage reste rare. Un proverbe chinois dit que “quand tu vois un tigre, il t’a déjà vu 1000 fois”…
Pour cette quête, nous nous attachons les services de Hukum. C’est le guide le plus expérimenté du parc. 29 ans bientôt qu’il arpente les hautes herbes et les rives de le rivière Girwa. J’ai découvert son parcours en lisant cet excellent livre. Un français tombé en amour devant le félin, et qui a installé un hôtel près du parc, non loin du « Jungle Base Camp » où nous résidons.
La marche dans la jungle
Après un jour de repos pour se remettre du voyage et de ventres bien malades, nous nous levons à 6h, buvons un thé sucré (le plus réconfortant que nous ayons bu) et une omelette et partons en direction de la forêt.
1500 m nous séparent de l’entrée du parc. Les villageois vaquent aux travaux des champs avant la fête des lumières, prévue dans 2 jours.
Dès le début, nous entrons dans le vif du sujet. Des crottes de tigre fraîches… Il est passé par là cette nuit et a marqué son territoire.
A peine plus loin, l’odeur d’urine est bien présente et n’échappe à pas au nez expert de notre guide.
La première partie du trek traverse de grandes plaines d’herbes à éléphants, qu’on pourrait aussi appeler ‘herbe à tigres’… Après tous les signes relevés dès les premiers kilomètres ce matin-là, la tension est à son comble.
Plus loin, des cris de cerfs chital signalent la présence d’un fauve dans les hautes herbes… Comme en Inde. Hélas après la mousson, les herbes sont trop hautes.
La deuxième partie est plus forestière. Là encore, le tigre a marqué son territoire. Des griffes au sol.
La marche a lieu dans le plus grand silence. Nous suivons le rythme à grands pas, ruisselants. La jungle est calme. Tellement peu d’oiseaux, par exemple, par rapport aux mêmes milieux, il y a un an au printemps, en avril.
Des Entelles nous observent. Mais aucune n’alarme.
Après 6 km, nous arrivons au bord de la rivière. Une tour d’observation nous accueille pour les heures chaudes.
L’ombre y est cependant rare. Les vues sur la rivière sont de petites fenêtres entre le feuillage.
Le tigre y est observé régulièrement. Mais jamais tous les jours… La patience est le meilleur atout, parole de guide.
Une heure. Deux heures. Il fait très chaud. Et encore c’est l’hiver. De belles observations de vanneaux, barbus ou papillons peinent à masquer ce mélange d’impatience et d’excitation.
Nous vivons l’instant à 100%. Les crayons sont de sortie.
Nous sortons le pique-nique (pomme de terre, chapatis, oeuf) préparé par la femme de Hukum.
Mais soudain, le guide crie : « Hey , Tiger over there… ». Il est 11h30.
Après, tout est question de secondes. Je me précipite, attrape le téléobjectif et mes jumelles. Un coup d’oeil, le Tigre est là, traversant la rivière. Ou plutôt, finissant de la traverser. Il est très loin. Deux secondes. Je tends les jumelles qui tombent par terre. Clic clic clic. Trois photos. Le tigre est parti.
L’observation n’aura que duré 5 secondes. La plupart des autres personnes n’ont hélas pas eu le temps de l’observer.
Cette photo, retouchée, est comme un trophée. Jadis, les chasseurs venaient exercer leur fusil et ramenaient une peau ou une tête. Nous sommes fiers de ramener une photo. Même lointaine.
Nous attendons encore 2h en sus. Tout le monde espère le revoir. Ou une autre femelle se déplaçant sur le territoire. En vain.
Nous poursuivons vers une autre tour, la chaleur du midi.
Le paysage est ouvert et à chaque instant, on se prend à rêver de voir une silhouette orangée et rayée sortir à pas lents…
Nous entamons le retour et c’est encore une aventure. Nous longeons la rivière pour espérer surprendre des Rhinocéros unicornes ou un autre tigre.
C’est l’occasion, ça et là, d’observer quelques oiseaux.
Puis nous nous enfonçons dans les hautes herbes pour un raccourci vers le retour. Nous sommes dans la peau du tigre. Mais n’espérons pas le voir en face à face.
Nous rentrons épuisés de ces 14 km de marche… avec une petit frustration tout de même de cette trop brève observation, à laquelle s’ajoute une grosse contrariété : la molette des nos jumelles semble faussée et elles sont hors d’usage. Comme si elles ne s’étaient pas remise d’avoir transmis les rayures du tigre jusqu’à nos yeux…
Deuxième jour, deuxième chance
Départ un peu plus tardif, vers 8h30… On ne lâche rien, et continue à faire corps avec la jungle.
Les singes macaques nous encouragent…
Les Entelles vaquent, insouciantes.
Nous allons cette fois directement à la rivière, à nouveau à travers les hautes herbes, où un autre tigre a été observé la veille.
Au bord de l’eau, nous affûtons le tigre à nouveau pendant de longues heures. Seule présence de taille, un Crocodile indien.
Les éléphants d’Asie sauvages sont également passés par là. Nous apprendrons qu’un troupeau de 40 individus est passé non loin de là il y a deux jours.
Nous rentrons bredouilles de cette matinée. Pique-nique dans la tour comme la veille, les yeux rivés sur l’endroit où la silhouette du fauve était passée la veille…
Vers 14h, nous rejoignons à pied un secteur boisé et une jeep vient nous chercher pour 3 h de safari plus reposant… La tension monte à nouveau. Nous voulons tellement le voir de près. Croiser son regard…
Nous croisons le regard de nombreux cerfs axis, un cerf Muntjac.
Nous surprenons un chacal. également.
Quelques oiseaux, un lézard…
Nous loupons un Rhinocéros au bord de cette rivière, vu par un autre véhicule dix minutes plus tôt…
Mais pas de nouveau tigre. Nous aurons eu notre moment, la veille. Il faut le savourer à sa juste valeur. Certains voyageurs croisés sur les chemins ont marché 4 jours sans voir le fauve…
« This is wildlife » se plait à répéter Hukum lors des journées « sans ». Bientôt 30 ans de safaris et il ne sait jamais de quoi sa journée sera faite. La nature nous offre ici ce qu’elle est : généreuse, sauvage mais surtout imprévisible. Cette expérience restera gravée dans nos mémoires. Pas seulement par ces longues journées en immersion sur le territoire du tigre, mais aussi par les moments forts vécus chez Hukum et sa famille, avec qui nous avons partagé le « nouvel an » népalais, les fêtes de Diwali.
Nous en parlerons dans le prochain article !